Ma pensée, une fois dite, n'est plus
Ma pensée. Fleur morte,
Elle flotte dans mon rêve, attendant
Que le vent l'emporte,
Que l'éloigne le courant, le sort extérieur.
Si je parle, je sens
Que je cisèle avec des mots ma propre mort,
Que je mens de toute mon âme.
Ainsi, plus je parle, plus je me trompe
Et plus je me façonne
Un être nouveau, postiche, que j'ornemente
D'être mien.
N'étant plus que pensée, je m'écoute, j'habite,
Et c'est déjà une manière de parler.
Mon dialogue intérieur lui-même est division
Entre mon être et moi.
Mais c'est lorsque je donne à ce que je médite
La forme et la voix de l'espace,
Qu'un lien que j'ai brisé ouvre entre moi et moi
Un abîme infini.
Ah, que ne puis-je avoir en moi-même avec moi
La parfaite concordance,
Le silence intérieur délivré des distances
Qui me séparent de ce que je dis !
Fernando Pessoa in Cancioneiro, 1988